La boîte à musique
Miodrag
n'était pas seulement le souvenir d'un divorce culturel. Pendant longtemps
accrochée sur le mur du salon, une photo de papa en noir et blanc. Méconnaissable
sans sa moustache et son ventre rond. A peine 30 ans, guitare à la main, il est
sur une scène. Un flashback imaginaire me propulse à une époque où je n'étais
pas encore née (maman non plus je pense). L'image en noir et blanc s'anime dans
mon voyage temporel mais sans prendre de couleurs. Aujourd'hui encore je ne
peux m'empêcher d'imaginer que la vie d'antan se déroulait en noir et blanc. Papa à son plus
jeune âge me venait en noir et blanc.
Je
ne l’ai jamais entendu jouer de la guitare, parfois je le surprenais à
fredonner une mélodie en faisant glisser ses doigts sur des cordes imaginaires.
Sa guitare, elle, est toujours à la maison. Confortablement calée entre le
meuble et la fenêtre rangée dans une boîte, c'est avec curiosité que j'ai
longtemps contemplé ce coin de la pièce, essayant de deviner l'instrument que
je vois tous les jours sur un mur.
A
l'affût d'un moment de solitude, je guette le départ de papa pour le travail,
de maman pour les courses. Je tire non sans peine l'étui de sa cachette. Un odeur de
moisie et de naphtaline s'infiltre dans mes narines et me déconnecte du temps
présent. La poussière accumulée témoigne du temps passé entre le noir et blanc et
la couleur. Je la dégage d'un revers de main comme pour ranimer
l'instrument qui se trouve à l'intérieur, pour le ramener à notre époque. Un
petit moment d'appréhension avant d'ouvrir la boite. Je prenais un innocent
plaisir à imaginer que lorsque je l'ouvrirai, une mélodie se jouerait telle une
boite à musique. Pas de ces boites à musiques qui me faisaient sans cesse pleurer, ces mélodies mécaniques accompagnées d'une figurine
qui tournoie en aspirant la vie autour d'elle. Elles suscitaient chez moi une
sensation d'inquiétante étrangeté qui me mettait dans un état de
malaise inexpliquable.
La boîte à musique de papa n'était pas de ces boîtes de foires anxieuses. En l'ouvrant, c'est une mélodie pleine de vie que j'entends, une symphonie valorisée par le talent parternel, une partie de sa vie avant qu'il ne donne la mienne. Une musique qui anime l'image fixe accrochée sur le mur du salon, qui colore un peu le noir et blanc d'une époque révolue.